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A la suite de la médiatisation de Sanne, une enfant transgenre belge, en 2016, plusieurs textes ont été publié. J’analyse le texte de l’Observatoire de la théorie de genre : « A 7 ans, un petit garçon belge change de genre»[1].
Commençons par la présentation :
« La maman de Sanne témoigne : « Sanne a toujours préféré les poupées aux voitures». Pour le journaliste en voix-off du reportage, c’est évident : « ce qu’ils ont pris pour des jeux d’enfants est un trouble profond de l’identité de genre ». Une affirmation scientifiquement douteuse, alors même que pour les professionnels de la petite enfance, les élèves en bas âge ne font pas de distinction « féminin » ou « masculin » pour choisir leurs jouets.
Plusieurs remarques. Il ne s’agit pas simplement de « jeux d’enfant » mais d’identification dépassant de très loin les jeux ; il ne s’agit pas plus de « trouble profond de l’identité de genre » qui n’est pas une « affirmation » scientifique mais une construction « médico-légale » impliquant le cadre naturaliste. L’article s’appuie sur des « professionnels de la petite enfance » qui tous valident la croyance naturaliste. Si les enfants ne font pas une telle différence, les adultes le font dans leur immense majorité.
Le second mode de présentation suit cette logique :
« Le désir de Senne/Sanne va donc justifier pour ses parents la nécessité de le/la laisser s’habiller en fille pour aller à l’école, et ce, malgré l’avis du psychiatre qui le suivait. »
On peut mettre ici en perspective « l’affirmation scientifiquement douteuse ». Une affirmation qui émane de l’avis d’un psychiatre et non d’une quelconque science.
Comment est construite cette « affirmation » ? L’article en donne ses sources et la définition conduisant à affirmer une telle chose :
« Les psychologues définissent traditionnellement la dysphorie de genre comme « une opposition entre le sentiment interne de leur genre (identité de genre) et leur sexe physique […] La dysphorie de genre renvoie au malaise que certaines personnes ressentent quant à leur sexe physique et/ou leur rôle de genre . »[2]
Cette définition n’est nullement neutre mais émane de la croyance en un naturalisme postulant un lien causal entre sexe et genre. Soit, le fait que la sexuation est en soi nécessaire et suffisante pour définir une identité en devenir. Cette ancienne définition, datant de Stoller (1968) fait dépendre l’identité en devenir du sexe biologique (la sexuation) et non des normes sociales impliquant un lien mécanique entre l’assignation de genre à la naissance et l’éducation dans un genre fixe, réputé non malléable. Précisons, non malléable sauf dans les cas d’identification trans.
Tout l’article joue précisément sur ce devenir « en germe » dont on nous assure qu’il aurait fallu écouter le psychiatre et non les parents et encore moins « l’enfant-roi » :
« Aussi, quand le journaliste demande à Sanne/Senne pourquoi il a voulu être une fille, et que l’enfant répond « pour mettre des robes, des jupes et aussi organiser des fêtes avec mes copines dans ma chambre », on peut se demander si ses parents, en acceptant et confortant son choix et ce, contre l’avis même du psychiatre en charge de Senne, n’ont pas semé les germes d’un trouble futur encore plus grave. Comment cet enfant vivra-t-il sa puberté, alors que 80-95% [4] des enfants estimant souffrir de dysphorie de genre ne ressentent plus cette anomalie à l’adolescence ? »[3]
Comment les enfants vivent leur puberté lorsque les parents interdissent l’expression de genre de leur enfant ? Ainsi donc, ses parents auraient provoqué un « trouble futur encore plus grave ». Lequel et comment le qualifier ? Celui de conforter un changement de sexe à la suite d’un changement de genre ? On affirmait d’abord qu’il s’agissait d’une « affirmation douteuse », tout en soulignant la définition émanant de psychologues tablant sur une dissociation sexe/genre[4] ; définition qui a conduit à l’affirmation d’un « trouble profond de l’identité de genre » ou « dysphorie de genre ». L’auteur.e rejette cette conclusion et la revalide quand il s’agit de proposer une réponse sociale pour l’enfant :
« S’il ne s’agit pas de nier un mal être sans doute réel chez Senne/Sanne, qui impliquait que l’enfant soit suivi par un spécialiste, fallait-il pour autant lui permettre ce changement de genre aussi précoce ? »
Des centaines d’ouvrages, d’articles, de colloque et autre tables rondes de «spécialistes » ont posé cette question sans jamais apporter aucune réponse, conduisant à la théorie sur le « transsexualisme ». L’article, lui, fait référence à une «anomalie ». Laquelle ? Le fait de préférer et porter des vêtements et des jeux qualifiés de « féminins » ? L’auteur.e fait de nouveau référence à des études :
« Les psychologues estiment que « pour la majorité des enfants, la dysphorie de genre ne les accompagne pas jusqu’au stade adulte : elle semble s’estomper. Des études qui ont suivi des enfants qui avaient le désir ardent d’être de sexe opposé ont trouvé qu’une petite proportion seulement de ces enfants continue de vivre une dysphorie de genre lorsqu’ils grandissent ».
On dissocie ici l’identité de genre de l’expression de genre sans expliciter le lien entre les deux. Comment s’estompe une « dysphorie » ? Par ailleurs, on ne distingue pas l’identification comme sentiment de soi et comme appartenance dans un sexe social. L’expression de genre apparaît tantôt comme la conséquence d’une évolution stable dans le temps, laquelle informerait la stabilité de l’identité de genre à l’âge adulte ; tantôt comme conséquence d’une « dysphorie de genre » évolutive. Ainsi, l’on peut distinguer les devenirs sans dysphorie de genre (euphorique?), des enfants qui « continuent de vivre une dysphorie de genre ». Mais comment faire la différence à 7 ans (âge de Sanne) ? Le psychiatre doit-il imposer sa réponse contre les parents au nom d’une théorie de la dysphorie de genre ?
Comment Sanne aurait-elle pu exprimer son expression de genre sans ses parents ? S’agit-il en définitive de l’empêcher comme le suggère cet article tout le long en le qualifiant « d’enfant-roi » ? Quelles conséquences sur sa vie en cas d’empêchement de la part des parents, ce qui est le cas le plus fréquent ? L’article tranche: « L’enfant-roi» dicte ses critères à ses parents.
Après avoir affirmé que la stabilité du genre se construit dans le temps, comment tabler sur cet empêchement ? Le mot dysphorie s’applique-t-il à l’expression de genre ou au sentiment d’identité de genre ? La réalité du terrain trans est bien plus crue : les individus intègrent qu’ils sont des malades en l’intériorisant. Cela affecte profondément la stabilité de l’individu et alimente l’idée que la croyance naturaliste est un fait normal, assurant stabilité et authenticité de l’identité. Le récent documentaire d’Eric Guéret décrit parfaitement ces situations de souffrance, de sentiment d’exclusion et d’isolement dans lequel l’individu est englué[5]. Comment peut-on le « mesurer » (si cela est possible) chez des adultes ayant précisément souffert de cet empêchement obérant leur devenir propre et que mesure-t-on, sinon l’adhésion aux normes binaires-cisgenres ? L’article fait référence à Anne Dafflon Novelle, confortant la croyance naturaliste par une théorie de la «socialisation différenciée » :
« En effet, Anne Dafflon Novelle, chercheur en psychologie à l’Université de Genève et « spécialiste de la socialisation différenciée entre les filles et les garçons » reconnait elle-même que « les enfants passent par plusieurs étapes avant de comprendre d’une part que le sexe est stable à travers le temps et les situations, d’autre part que le sexe est déterminé de manière biologique. Ceci n’est intégré que vers 5-7 ans ; auparavant, les enfants sont convaincus qu’être un garçon ou une fille est fonction de critères socioculturels, comme avoir des cheveux courts ou longs, jouer à la poupée ou aux petites voitures, etc »[6].
L’auteure reconstitue la croyance naturalisme après avoir affirmé à une socialisation différentielle. Et de conclure :
« En d’autres termes, il est normal pour les petites filles et les petits garçons de « tester » des caractéristiques qu’ils attribuent au sexe opposé (comme porter une jupe pour un petit garçon), sans que cela signifie qu’ils sont transgenres et qu’ils doivent donc changer de sexe. »
Or, Sanne n’a pas « changé de sexe » mais de genre. On se demande où est-il «normal » de « tester » des « caractéristiques » de genre non conformes sans subir des discriminations et une qualification en « psychiatrie ». La quasi totalité des pratiques et textes de la minorité catholique s’y oppose de manière véhémente car elle y voit l’abolition de la croyance naturaliste soutenant la croyance déique et la fin du dogme psychiatrique. Non sans raison. L’article confond sciemment le « test » (ou le jeu) avec l’identification massive de Sanne à l’expression de genre féminine. Rien en effet ne dit qu’elle deviendra une fille post-puberté et encore moins « transgenre ».
Le site fait référence en outre à la Canadian Psychological Association (CPA). On peut lire dans leurs documents la position concernant la « thérapie de conversion de l’orientation sexuelle » :
« En outre, le fait d’être attiré par une personne du même sexe ou d’avoir une orientation homosexuelle ou bisexuelle entraîne, dans certains cas, de la détresse en raison des croyances négatives intériorisées par la personne ou de facteurs externes, comme la famille, la religion, les valeurs de la société ou la discrimination (p. ex., Bartlett, Smith et King, 2009; Beckstead, 2012; Beckstead et Morrow, 2004). »[7]
Des thérapies que l’Observatoire valide au nom de croyances religieuses et soutenues par des « affirmations scientifiques », telles que celles de Tony Anatrella, prêtre-psychanalyste catholique.
Le texte de la CPA est typique de l’évolution actuelle vis-à-vis de l’homosexualité dans la société occidentale, contré par des minorités religieuses (dont ce site est l’expression) mais non des transidentités. Il dit clairement que les discriminations sont la cause principale de troubles éventuels ultérieurs. S’il existe une « maladie de genre», elle réside dans les normes sociales elles-mêmes qui n’ont pas su évoluer afin d’inclure tous les individus dans sa définition.
Soulevons la paradoxe sous-jacent de cet article, comme par ailleurs de la quasi totalité des textes écrits sur ce sujet. La « détresse » est issue d’un contexte qui ignore ou organise la croyance en une « dysphorie de genre » : est validée une théorie de la « dysphorie de genre » tout en affirmant que la « théorie de genre » n’existe pas, pur artefact intellectuel. En un mot, on valide une « thérapie de conversion » des expressions de genre non conforme et des identités de genre trans, consistant dans des avis de psychiatres opposés aux enfants et de leurs parents.
Sur le fond, il s’agit de maintenir d’une part la croyance d’un naturalisme sexuel constituant un soubassement inébranlable ; d’autre part les normes sociales binaires où seules existent les expressions de genre féminines et masculines.
Autre sources
[1] http://www.theoriedugenre.fr/?A-7-ans-un-petit-garcon-belge.
[2] http://www.cpa.ca/lapsychologiepeutvousaider/genderdysphoria/
[3] Le gras émane de l’auteur.e de l’article.
[4] Canadian Psychological Association (CPA) [en ligne, consulté le 03.11.2016]. http://www.cpa.ca/lapsychologiepeutvousaider/genderdysphoria/ (consulté le 03.11.2016). Le site indiquait que la page était « provisoirement retiré à jour en cour ».
[5] Diffusion : 01.11.2016, http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/01-11-2016_517461 (consulté le 03.11.2016).
[6] Anne DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons : socialisation différenciée ? PUG, 2006.
[7] « Enoncé de politique de la Société canadienne de psychologie sur la thérapie de conversion/thérapie réparatrice ans le but de modifier l’orientation sexuelle » [en ligne] http://www.cpa.ca/docs/File/Position/16_111_106_SOGII%20Policy%20Statement%20-%20LGB%20Conversion%20Therapy%20FINALAPPROVED2015-FR.pdf (consulté le 03.11.2016)