Histoire de Sanne

Vedette

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A la suite de la médiatisation de Sanne, une enfant transgenre belge, en 2016, plusieurs textes ont été publié. J’analyse le texte de l’Observatoire de la théorie de genre : « A 7 ans, un petit garçon belge change de genre»[1].

Commençons par la présentation :

« La maman de Sanne témoigne : « Sanne a toujours préféré les poupées aux voitures». Pour le journaliste en voix-off du reportage, c’est évident : « ce qu’ils ont pris pour des jeux d’enfants est un trouble profond de l’identité de genre ». Une affirmation scientifiquement douteuse, alors même que pour les professionnels de la petite enfance, les élèves en bas âge ne font pas de distinction « féminin » ou « masculin » pour choisir leurs jouets.

Plusieurs remarques. Il ne s’agit pas simplement de « jeux d’enfant » mais d’identification dépassant de très loin les jeux ; il ne s’agit pas plus de « trouble profond de l’identité de genre » qui n’est pas une « affirmation » scientifique mais une construction « médico-légale » impliquant le cadre naturaliste. L’article s’appuie sur des « professionnels de la petite enfance » qui tous valident la croyance naturaliste. Si les enfants ne font pas une telle différence, les adultes le font dans leur immense majorité.

Le second mode de présentation suit cette logique :

« Le désir de Senne/Sanne va donc justifier pour ses parents la nécessité de le/la laisser s’habiller en fille pour aller à l’école, et ce, malgré l’avis du psychiatre qui le suivait. »

On peut mettre ici en perspective « l’affirmation scientifiquement douteuse ». Une affirmation qui émane de l’avis d’un psychiatre et non d’une quelconque science.

Comment est construite cette « affirmation » ? L’article en donne ses sources et la définition conduisant à affirmer une telle chose :

« Les psychologues définissent traditionnellement la dysphorie de genre comme « une opposition entre le sentiment interne de leur genre (identité de genre) et leur sexe physique […] La dysphorie de genre renvoie au malaise que certaines personnes ressentent quant à leur sexe physique et/ou leur rôle de genre . »[2]

Cette définition n’est nullement neutre mais émane de la croyance en un naturalisme postulant un lien causal entre sexe et genre. Soit, le fait que la sexuation est en soi nécessaire et suffisante pour définir une identité en devenir. Cette ancienne définition, datant de Stoller (1968) fait dépendre l’identité en devenir du sexe biologique (la sexuation) et non des normes sociales impliquant un lien mécanique entre l’assignation de genre à la naissance et l’éducation dans un genre fixe, réputé non malléable. Précisons, non malléable sauf dans les cas d’identification trans.

Tout l’article joue précisément sur ce devenir « en germe » dont on nous assure qu’il aurait fallu écouter le psychiatre et non les parents et encore moins « l’enfant-roi » :

« Aussi, quand le journaliste demande à Sanne/Senne pourquoi il a voulu être une fille, et que l’enfant répond « pour mettre des robes, des jupes et aussi organiser des fêtes avec mes copines dans ma chambre  », on peut se demander si ses parents, en acceptant et confortant son choix et ce, contre l’avis même du psychiatre en charge de Senne, n’ont pas semé les germes d’un trouble futur encore plus grave. Comment cet enfant vivra-t-il sa puberté, alors que 80-95% [4] des enfants estimant souffrir de dysphorie de genre ne ressentent plus cette anomalie à l’adolescence ? »[3]

Comment les enfants vivent leur puberté lorsque les parents interdissent l’expression de genre de leur enfant ? Ainsi donc, ses parents auraient provoqué un « trouble futur encore plus grave ». Lequel et comment le qualifier ? Celui de conforter un changement de sexe à la suite d’un changement de genre ? On affirmait d’abord qu’il s’agissait d’une « affirmation douteuse », tout en soulignant la définition émanant de psychologues tablant sur une dissociation sexe/genre[4] ; définition qui a conduit à l’affirmation d’un « trouble profond de l’identité de genre » ou « dysphorie de genre ». L’auteur.e rejette cette conclusion et la revalide quand il s’agit de proposer une réponse sociale pour l’enfant :

« S’il ne s’agit pas de nier un mal être sans doute réel chez Senne/Sanne, qui impliquait que l’enfant soit suivi par un spécialiste, fallait-il pour autant lui permettre ce changement de genre aussi précoce ? »

Des centaines d’ouvrages, d’articles, de colloque et autre tables rondes de «spécialistes » ont posé cette question sans jamais apporter aucune réponse, conduisant à la théorie sur le « transsexualisme ». L’article, lui, fait référence à une «anomalie ». Laquelle ? Le fait de préférer et porter des vêtements et des jeux qualifiés de « féminins » ? L’auteur.e fait de nouveau référence à des études :

« Les psychologues estiment que « pour la majorité des enfants, la dysphorie de genre ne les accompagne pas jusqu’au stade adulte : elle semble s’estomper. Des études qui ont suivi des enfants qui avaient le désir ardent d’être de sexe opposé ont trouvé qu’une petite proportion seulement de ces enfants continue de vivre une dysphorie de genre lorsqu’ils grandissent ».

On dissocie ici l’identité de genre de l’expression de genre sans expliciter le lien entre les deux. Comment s’estompe une « dysphorie » ? Par ailleurs, on ne distingue pas l’identification comme sentiment de soi et comme appartenance dans un sexe social. L’expression de genre apparaît tantôt comme la conséquence d’une évolution stable dans le temps, laquelle informerait la stabilité de l’identité de genre à l’âge adulte ; tantôt comme conséquence d’une « dysphorie de genre » évolutive. Ainsi, l’on peut distinguer les devenirs sans dysphorie de genre (euphorique?), des enfants qui « continuent de vivre une dysphorie de genre ». Mais comment faire la différence à 7 ans (âge de Sanne) ? Le psychiatre doit-il imposer sa réponse contre les parents au nom d’une théorie de la dysphorie de genre ?

Comment Sanne aurait-elle pu exprimer son expression de genre sans ses parents ? S’agit-il en définitive de l’empêcher comme le suggère cet article tout le long en le qualifiant « d’enfant-roi » ? Quelles conséquences sur sa vie en cas d’empêchement de la part des parents, ce qui est le cas le plus fréquent ? L’article tranche: « L’enfant-roi» dicte ses critères à ses parents.

Après avoir affirmé que la stabilité du genre se construit dans le temps, comment tabler sur cet empêchement ? Le mot dysphorie s’applique-t-il à l’expression de genre ou au sentiment d’identité de genre ? La réalité du terrain trans est bien plus crue : les individus intègrent qu’ils sont des malades en l’intériorisant. Cela affecte profondément la stabilité de l’individu et alimente l’idée que la croyance naturaliste est un fait normal, assurant stabilité et authenticité de l’identité. Le récent  documentaire d’Eric Guéret décrit parfaitement ces situations de souffrance, de sentiment d’exclusion et d’isolement dans lequel l’individu est englué[5]. Comment peut-on le « mesurer » (si cela est possible) chez des adultes ayant précisément souffert de cet empêchement obérant leur devenir propre et que mesure-t-on, sinon l’adhésion aux normes binaires-cisgenres ? L’article fait référence à Anne Dafflon Novelle, confortant la croyance naturaliste par une théorie de la «socialisation différenciée » :

« En effet, Anne Dafflon Novelle, chercheur en psychologie à l’Université de Genève et « spécialiste de la socialisation différenciée entre les filles et les garçons » reconnait elle-même que « les enfants passent par plusieurs étapes avant de comprendre d’une part que le sexe est stable à travers le temps et les situations, d’autre part que le sexe est déterminé de manière biologique. Ceci n’est intégré que vers 5-7 ans ; auparavant, les enfants sont convaincus qu’être un garçon ou une fille est fonction de critères socioculturels, comme avoir des cheveux courts ou longs, jouer à la poupée ou aux petites voitures, etc »[6].

L’auteure reconstitue la croyance naturalisme après avoir affirmé à une socialisation différentielle. Et de conclure :

« En d’autres termes, il est normal pour les petites filles et les petits garçons de « tester » des caractéristiques qu’ils attribuent au sexe opposé (comme porter une jupe pour un petit garçon), sans que cela signifie qu’ils sont transgenres et qu’ils doivent donc changer de sexe. »

Or, Sanne n’a pas « changé de sexe » mais de genre. On se demande où est-il «normal » de « tester »  des « caractéristiques » de genre non conformes sans subir des discriminations et une qualification en « psychiatrie ». La quasi totalité des pratiques et textes de la minorité catholique s’y oppose de manière véhémente car elle y voit l’abolition de la croyance naturaliste soutenant la croyance déique et la fin du dogme psychiatrique. Non sans raison. L’article confond sciemment le « test » (ou le jeu) avec l’identification massive de Sanne à l’expression de genre féminine. Rien en effet ne dit qu’elle deviendra une fille post-puberté et encore moins « transgenre ».

Le site fait référence en outre à la Canadian Psychological Association (CPA). On peut lire dans leurs documents la position concernant la « thérapie de conversion de l’orientation sexuelle » :

« En outre, le fait d’être attiré par une personne du même sexe ou d’avoir une orientation homosexuelle ou bisexuelle entraîne, dans certains cas, de la détresse en raison des croyances négatives intériorisées par la personne ou de facteurs externes, comme la famille, la religion, les valeurs de la société ou la discrimination (p. ex., Bartlett, Smith et King, 2009; Beckstead, 2012; Beckstead et Morrow, 2004). »[7]

Des thérapies que l’Observatoire valide au nom de croyances religieuses et soutenues par des « affirmations scientifiques », telles que celles de Tony Anatrella, prêtre-psychanalyste catholique.

Le texte de la CPA est typique de l’évolution actuelle vis-à-vis de l’homosexualité dans la société occidentale, contré par des minorités religieuses (dont ce site est l’expression) mais non des transidentités. Il dit clairement que les discriminations sont la cause principale de troubles éventuels ultérieurs. S’il existe une « maladie de genre», elle réside dans les normes sociales elles-mêmes qui n’ont pas su évoluer afin d’inclure tous les individus dans sa définition.

Soulevons la paradoxe sous-jacent de cet article, comme par ailleurs de la quasi totalité des textes écrits sur ce sujet. La « détresse » est issue d’un contexte qui ignore ou organise la croyance en une « dysphorie de genre » : est validée une théorie de la « dysphorie de genre » tout en affirmant que la « théorie de genre » n’existe pas, pur artefact intellectuel. En un mot, on valide une « thérapie de conversion » des expressions de genre non conforme et des identités de genre trans, consistant dans des avis de psychiatres opposés aux enfants et de leurs parents.

Sur le fond, il s’agit de maintenir d’une part la croyance d’un naturalisme sexuel constituant un soubassement inébranlable ; d’autre part les normes sociales binaires où seules existent les expressions de genre féminines et masculines.

Autre sources

http://www.7sur7.be/7s7/fr/1520/Sexe-Relations/article/detail/2502729/2015/10/26/Le-plus-jeune-transgenre-de-Belgique-Je-serai-toujours-une-fille.dhtml, 03.11.2016

http://www.sudinfo.be/1404970/article/2015-10-26/le-plus-jeune-transgenre-de-belgique-a-10-ans-senne-devenu-sanne-ne-sera-plus-ja, 25.10.2016.

http://www.dhnet.be/actu/faits/sanne-est-devenue-un-des-plus-jeunes-transgenres-belges-je-serai-toujours-une-fille-5627ee1235700fb92fe53cc6, 21.10.2016.

[1] http://www.theoriedugenre.fr/?A-7-ans-un-petit-garcon-belge.

[2] http://www.cpa.ca/lapsychologiepeutvousaider/genderdysphoria/

[3] Le gras émane de l’auteur.e de l’article.

[4] Canadian Psychological Association (CPA) [en ligne, consulté le 03.11.2016]. http://www.cpa.ca/lapsychologiepeutvousaider/genderdysphoria/ (consulté le 03.11.2016). Le site indiquait que la page était « provisoirement retiré à jour en cour ».

[5] Diffusion : 01.11.2016, http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/01-11-2016_517461 (consulté le 03.11.2016).

[6] Anne DAFFLON NOVELLE, Filles-garçons : socialisation différenciée ? PUG, 2006.

[7] « Enoncé de politique de la Société canadienne de psychologie sur la thérapie de conversion/thérapie réparatrice ans le but de modifier l’orientation sexuelle » [en ligne] http://www.cpa.ca/docs/File/Position/16_111_106_SOGII%20Policy%20Statement%20-%20LGB%20Conversion%20Therapy%20FINALAPPROVED2015-FR.pdf (consulté le 03.11.2016)

la psychanalyse comme régulateur des controverses d’aujourd’hui

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Claude Halmos, la psychanalyse comme régulateur des controverses d’aujourd’hui

Ce texte a été écrit à la suite d’une pétition[1] qui a circulé dans les réseaux sociaux. Une fois de plus, la psychanalyse entend faire passer son discours pour vérité. Devons-nous la réfuter frontalement, lui échapper pour le dire avec Didier Eribon[2] ? La communauté trans est très divisée sur ce sujet et ne permet pas des réponses simples. Pour autant, une fois de plus, la discipline s’embourbe, emportant avec elle ces bébés dont elle aura inventé et créé une maladie pour vendre sa poudre, une souffrance pour justifier des suivis et des diagnostics.

De l’homosexualité[3]

Claude Halmos nous assure de la solidité de sa discipline, la psychanalyse freudienne, prompt à relativiser  : elle nous assure que tout le monde est normal, s’appuie sur la figure tutélaire de Freud pour redire que l’homosexualité est normale, que les homosexuels sont normaux, assure qu’il faut en finir avec l’homophobie et la haine[4]. Mais dès qu’on aborde la « différence des sexes », il semblerait que ni l’homosexualité ni les homosexuels ne sont normaux comme les normaux. La pathologie ? Pas ma tasse de thé. Mais il ne faut pas que l’on confonde couple et couple, mariage et Pacs, tranche-t-elle. Le « droit à l’indifférence » sociale devient alors sous sa plume une « indifférenciation sexuelle ». L’adoption, une « grave erreur ». Le fait de désirer des enfants pour un homosexuel ou un couple d’homosexuels « un cynisme ». Grace à la Différence, « le désir peut circuler ». A l’inverse, une mémoire absentée qui nierait le besoin des enfants d’avoir un papa et une maman. Un homme et une femme donc, après nous avoir assurés de ladite normalité, de la compétence et la responsabilité d’élever des enfants, d’assurer leur stabilité, et surtout de leur donner un corps stable dans le nouement corps-psychisme. Toutes choses que l’on prêterait à de « bons parents ».

À ce stade, on ne comprend plus l’analyse que développe C. Halmos, ou alors, très bien. Sa rubrique nous renseigne sur sa spécialité auprès des enfants maltraités[5]. L’on revient sur plus d’un siècle de malveillances envers les homosexuel.les, désigné.es comme tel.les par leur orientation et pratiques sexuelles dans une perspective psychologique gommant la personne pour pouvoir la verser dans la pathologie ou de requalifier ses intentions sous la très louable intention de renverser un monde de cynismes. Se suffit-il pour cela que l’on convoque Freud ? L’élite intellectuelle s’est ainsi protégée sous son ombre. L’on s’assure ainsi de cette réserve de contestations, de retournements historiques au cas où le grand homme s’était peut-être trompé, tout à sa bienveillance vieillissante. Après tout, il s’est lourdement trompé sur le tard à propos du « continent noir » des femmes.

Cet item du cynisme, désormais dans toutes les bouches, serait-il en passe de devenir le nouvel habillage d’un classement et tri de ceux et celles qui ont le droit de faire comme bon leur semble sans être traiter de malades ou de cyniques et ceux et celles qui ne le peuvent pas ? L’on en revient ici, fort de ce nouveau contrat d’une normalité enfin partagée par tous ceux et celles qui la mérite selon la loi de la République, sur ce qui constitue le fondement de la condition humaine commué en une différence des sexes. Ici, plus de Freud, plus d’ombre bienveillante, plus de République ni de démocratie. On est au cœur du « fondement » même.

L’enfant « oublié »

A vrai dire, l’idée qu’il y aurait une construction psychique de l’enfant – donc des conditions nécessaires à cette construction – semble ne venir à personne. L’enfant dont on nous parle est un enfant préfreudien. Un enfant d’avant la découverte de l’inconscient, d’avant la psychanalyse, d’avant que l’on ait été « y voir » ou plutôt « y entendre de l’intérieur » pour comprendre comment se construit l’adulte à travers le « petit d’homme ».

Que puis-je faire pour mon enfant si je suis désigné.e comme « parent homosexuel » ou « parent transsexuel » ? Toutes les réponses données sont requalifiées, créant du manque là où je plaçais du sens. On comprend alors le rôle que l’on fait jouer à cet « enfant oublié » qui en devient cet enfant-alibi du fantasme parental : celui-là même que j’ai été en occultant l’individuE d’un advenir, fracturant mon unité d’existence dans le monde. Les normes de genre collées aux normes de sexualité, m’ont « oublié ». Celles et ceux-là qui l’appellent à témoigner de la vérité de Différence, sont celles et ceux-là qui m’ont obligé à coller au régime cisgenre. Aussi, ce « moi-même », est-il pour moi une notion sociale pour le moins obscure. Qui donc est ce « moi » censé être moi ? Que me répond-on ? Qu’il y va de la « différence » qu’elle assure sa fonction de fondement et de « repère symbolique majeure », hors de portée de tout désir, intention et égotisme cynique donc. Permettant que nul parent n’oublie leur enfant… La psychanalyse se fait ici les parents sociaux putatifs d’une norme et d’enfants-éprouvettes. Dans cette dispute, l’enfant sera doublement oublié, prit à témoin et finalement occulté si ce n’est que les parents devront toujours rattraper ce qui n’était au départ d’une attitude phobique.

On ne peut pas convoquer ce « plus ou moins symbolique », écrit l’auteure en reprenant des phrases décontextualisées de l’ouvrage d’Eric Dubreuil, dès lors que l’enfant se demande où est passé le papa – ou la maman — manquante. L’enfant pose-t-il cette question ? Qui place donc ce mot de manquant dans sa bouche ? On ne le sait pas mais Claude Halmos le sait. L’enfant risque d’être marqué par ce manque, tiré du côté de la « souffrance psychique » par trop d’amour. Son « psychisme » va-t-il être affecté ? Son œdipe va-t-il dérailler ? Le rappel de sa bisexualité psychique tourne court ici, happé en vide par ce mot du manque qui va brûler ses réserves de confiance et son estime de lui-même. Si l’enfant se pose effectivement la question, c’est en raison d’un hiatus qu’il perçoit, fait sien en l’endossant, nous dit la psychanalyse. Et c’est le cas puisque nombre d’auteur.es, oubliant l’éthique se sont lancé.es dans cette fronde d’époque pour réaffirmer la norme, cherchant l’ennemi intérieur pour rétablir un quelque chose d’aussi massif qu’impalpable, aussi net que les angles morts de notre vision.

La psychanalyse s’auto-convoque à ce stade pour redire la « loi symbolique » de la « différence » qui ne peut être remis en cause par le moindre désir ou intention humaine qui le tirerait du côté de l’ego au risque, nous dit-on de quitter la Différence, « oublier l’enfant » et perdre le corps matériel. On retombe ici lourdement sur le classement naturaliste homosexualité vs hétérosexualité. Mais ouf, cette fois, c’est l’éthique qui postule au rang de régulateur neutre. L’on apprend alors que l’enfant dont il est question est l’enfant avant Freud et la psychanalyse. Un enfant de la « structure psychique » avant la découverte de l’inconscient, des interrogations sur le contenu dudit psychisme : un « enfant préfreudien », révèle l’auteure. On convoque un temps avant Freud comme si ce dernier était le temps zéro de la rationalité, le cran de la pensée séparant un Avant d’un Après. Qu’allons-nous dire aux enfants qui cherchent une maman dans une famille de papas ou un papa dans une famille de mamans ou qui rêvent de devenir au lieu d’être ? Que l’enfant préfreudien est la réponse ?

L’on saisit alors l’avantage qu’il y a à renormaliser les homosexuels et l’homosexualité, à disserter sur cet enfant et corps perdus ou absentés. On en vient à donner aux parents homos ce qui leur a été retiré, volé. On ne dit pas qui leur a retiré et volé. Précisément, faire en sorte qu’il y aurait une espèce de dignité naturelle à être dans la normalité, cette méta-instance d’époque, tirant du côté de la croyance massifiante dont Freud se méfiait par-dessus tout.

De la transsexualité au transsexualisme

« Je veux devenir un garçon. Pourquoi ce n’est pas possible » ? Lucie, 6 ans

Réponse de Claude Halmos :

« Tu ne peux pas devenir un garçon Lucie, parce que tu es née, comme ta mère, dans un corps de fille. De même que ton frère est né, comme ton père, dans un corps de garçon. Et ça, on ne peut pas le changer. Parce que l’on ne peut pas revenir en arrière et renaître dans un corps différent. Cela fait partie des limites que la vie nous impose. Elles peuvent nous mettre en colère parce que nous aimerions n’en avoir aucune et pouvoir réaliser tous nos désirs et accomplir tous nos rêves. Devenir fille si on est garçon ou garçon si on est fille. Ou même être (pourquoi pas ?) les deux à la fois. Et en plus voler comme les oiseaux et nager comme les poissons. On aimerait bien, mais ce n’est pas possible(…) »

 

Mais qui donc aimerait bien ? Certainement pas les trans. L’identification de genre nié, il ne peut se construire un corps propre. Il en adoptera d’autant plus fermement l’esquif du corps social naturaliste et essentialiste. Là encore, C. Halmos convoque sa discipline, la symbolique sexuelle binaire et Freud, refonde la coïncidence naissance-devenir et avec elle une coïncidence sexe-genre (régime cisgenre) datant du XIXe siècle mais que l’auteure veut situer dans cet Ailleurs fondateur. Or, nous savons ce qu’il est : un régime symbolique patriarcal. L’on apprend (ou réapprend) toutefois qu’il existe une « bisexualité fondamentale » mais l’on se demande pourquoi est-elle fondamentale, à quel endroit l’est-elle si c’est le cas et surtout pourquoi la société n’est pas bi(sexuelle) si ce « fondamental » est ce « repère majeur », si cette bisexualité psychique rentre-t-elle dans les codes et cordes de la différence des sexes. C. Halmos n’y croit pas : et pourquoi pas les deux, garçon et fille ? Et lorsque c’est le cas, que fait-on ? La Différence exclut l’altérité. Cet Ailleurs psychique pensé par Freud est paradoxalement très proche du gué queerisé, cette possibilité de se rêver être les deux ou entre les deux à l’instar des two spirit amérindien. On réaffirme là une impossibilité morale commuée en invariant atemporel et ahistorique pour revenir ensuite au corps : « Si la différence des sexes est essentielle à l’enfant en tant que repère symbolique, elle ne peut cependant remplir totalement sa fonction si elle reste un repère abstrait. Pour servir au développement de l’enfant, la différence des sexes doit en effet s’incarner, prendre corps… dans des corps ». Pour être soi, il faut être dans le corps ? Comment faire en sorte pour être dans son propre corps si les normes muent des identifications en interdit tandis qu’elle en valide d‘autres ? L’auteure, persuadée que nous naissons non dans la Culture mais dans la Nature et « dans le corps , répond : il faut que la différence de sexes soit un repère concret. Il faut donc le corps dans sa matérialité à la fois carnée et normée. Or les trans changent de corps en raison de ce postulat essentialiste binaire : être « dans le corps ». Comment empêcher ces opérations reviendrait alors à sortir dudit repère symbolique majeur. L’auteure substitue le repère majoritaire en majeur. Convoquant François Dagognet[6], elle en vient à railler la « souplesse » des liants symboliques et psychiques que celui-ci préconise, coupant ce qu’il reste de ressources pour l’enfant trans confronté à cette situation d’où naîtra la souffrance de sa solitude.

 

Devenir un garçon ne signifie nullement se faire le corps d’un garçon mais représenter son développement en propre sans nécessairement le métaboliser mais cela implique une désidentification aux genres binaires fille et garçon, homme et femme. Bref, transgresser les normes sans se couper du lien social au grand désarroi des gardiens de la norme. Mais comment l’enfant peut-il le faire puisqu’il ne peut pas « changer, « être les deux, devenir un oiseau, se rêver » ? Aussi, lui refuser son genre équivaut à produire la mécanique du transsexualisme technique, ultime réparation issue de cette symbolique primordiale mais hors du lien social. Précisément, à l’hôpital, fort d’un certificat de dysphorie de genre, cet ultime marqueur « dans le psychique ».

 

Si la pensée advient de ce que l’on est « dans » l’ordre sexué, rappelle C. Halmos en convoquant F. Héritier, changer de sexe revient à adhérer à cet ordre d’un corps fondateur. La paradoxe du corps mutilé est qu’il le fait au nom du régime disciplinaire imposant un nouement du corps psychique au corpus majoritaire des normes. Si cette différence est ce que l’on pressent ici, à savoir la Différence, instance substitutive à « Dieu », elle est toujours chargée de dire la régulation normative pour classer et trier, commuer les autres en parias, voire en cet autre radical du transsexualisme. La psychanalyse de C. Halmos en vient à assurer l’héritage patriarcal, invoquant un imaginaire et monde de manques, souffrances et oublis, recomposant l’univers panchrétien pour assurer son ordre que l’ultralibéralisme a mis à bas. Mais il est plus facile de s’en prendre aux marginaux qu’une société montre du doigt qu’aux flux dérégulés de la finance, du pillage de la planète. En définitive, ce discours colle au plus près de ce qu’il s’agissait de cacher sous le nom de symbolique et que d’aucuns nomment la « théorie du genre ». Effet de dévoilement, analyse Jérôme Latta[7], confrontant sa pensée à la question d’un enfant : « Pourquoi est-ce qu’ils veulent interdire aux filles de jouer aux voitures ou aux garçons de faire de la danse ? » Parce que certains adultes, cessant de rêver, en viennent à exiger qu’on les suivent.

 


[1] https://secure.avaaz.org/fr/petition/Psychologies_Magazine_Pour_que_Psychologies_Magazine_respecte_les_droits_des_transexuels/?skEvxdb

[2] Didier Eribon, Echapper à la psychanalyse, Ed. Léo Scheer.

[5] Claude Halmos est psychanalyste et écrivain. Elle a travaillé avec Françoise Dolto et elle est aujourd’hui devenue l’une des spécialistes reconnues de l’enfance et de la maltraitance. Elle a d’ailleurs exercé pendant plusieurs années dans des consultations de pédopsychiatrie, auprès d’enfants abandonnés ou maltraités.

[6] URL : http://www.psychologies.com/Planete/Societe/Articles-et-Dossiers/L-adoption-par-des-couples-homosexuels-et-l-enfant-dans-tout-ca/4. (consulté le 13 mars 2014).

[7] Jérôme Latta, « Genre : pouquoi les antis ont perdu ? », URL : http://www.regards.fr/web/genre-pourquoi-les-anti-ont-perdu,7479, (consulté le 17 mars 2014).

L’école Laïque, la « théorie du genre », l’ultralibéralisme et ses « anti-système »

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D’une fronde à l’autre

Depuis quelques temps, le front des anti et pour le « genre » a manifestement pris une importance décisive. Tous les médias affichent, parfois en Une, esprit de fronde, opposition, appel à des résistances, explications et définitions. Qu’est-ce que le genre ? Y a-t-il une « théorie du genre » au-delà des mots d’ordre ? Pourquoi l’école est-elle ainsi, après d’autres sujets et réformes inabouties, le théâtre d’une telle fronde d’époque ? Que cache et ne cache pas le « genre » qui n’aurait été expliqué ou non sous d’autres termes et appellations ?(1)

Une guerre de religion dans le paysage de la modernité en 2014 ? Fort est de constater la lutte de la minorité religieuse catholique, affiliée désormais (depuis toujours ?) à des groupes politiques laïques, contre une minorité sexuelle, les «LGBT», tout à la fois contre le « système » et avec lui. Tous deux voulant investir le cadre de l’école en ce qu’il est, outre un cadre d’éducation et apprentissages fondamentaux, un cadre aux valeurs fondatrices nécessaires à toute nation. La minorité catholique inspirant cette fronde s’est particulièrement fait remarquer depuis la controverse SVT et le mariage pour tous avec le parti de C. Boutin, transformé en un buttoir tératologique, le « mariage gay », destiné à attirer l’attention sur l’éducation sexuelle, ce que l’on peut dire ou non, faire ou non, à partir de quel âge, dans quels lieux, etc. Il en va désormais du grand départage du monde, identité de genre vs identité sexuelle, arquebouté aux politiques natalistes qu’incarne les valeurs « catholiques » diffusées dans toute la société. Pour l’essentiel, cette fronde ressemble à d’autres frondes et est un moyen de ne pas revenir sur ses valeurs « historiques » et avec elles, sur le socle de la démocratie à la française avec la séparation des pouvoirs de la Nation et de l’Église. Au programme, il est net depuis la controverse SVT que les uns luttent pour que les autres n’ont jamais le droit de cité, voire que l’on efface leur existence des manuels scolaires et de la trame collective du vivre ensemble resserrée dans l’enceinte nationaliste. L’homosexualité, c’est en Allemagne, ont clamé ces mêmes valeurs tout au long du XIXe. La théorie du genre vient des USA, clame-t-on aujourd’hui. La géopolitique n’est pas loin derrière des nationalistes identitaires, opposant l’espace de Schengen et les espaces « traditionnels » des frontières en biffant les violences de l’Histoire et les politiques colonialistes. Aussi, la question, Est-il nécessaire d’apprendre à nos enfants à aimer les travestis ?(2, site Islamisme.fr), est-elle programmatique d’une incursion désordonnée, après celle l’identité sexuelle composant l’identité-socle des hommes et des femmes. Pour Sylvie Ayral, auteure d’une étude sur le sujet (3), l’école est aussi le cadre d’un apprentissage au genre par le jeu des sanctions favorisant une masculinité conflictuelle, voire agressive, au détriment des masculinités non agressives et des féminisés , effaçant les transidentités et enfants intersexués. Au total, il est net que l’on assiste à une militance contre une autre dans l’accès au vivre-ensemble d’une part, à une conception de société et d’identité d’autre part, reprenant avec d’autres mots la vision religieuse contre la vision laïque de société sur lequel se superpose cette géopolitique des nationalistes contre un libéralisme d’une science ne connaissant pas les frontières. Aussi l’alliance entre une droite ultralibérale promouvant la logique de l’espace Schengen se double-t-elle d’une logique nationaliste de repli identitariste allant de pair avec les extrêmes droites.

Science vs conception populaire du monde ?

Quid de la « théorie du genre » dans cette lutte ? La référence à deux noms parcourt les articles lus (Figaro, Le Point, le NouvelObs, 7 sur 7, Rue89) : Judith Butler et John Money. Plus précisément, la militance des antes vise à faire croire que les tenants du genre ne mentionneraient pas l’incurie inouïe de John Money : « Une expérimentation souvent occultée par les disciples actuels des études du genre, car celle-ci, conduite sur deux jumeaux canadiens nés garçons, mais dont l’un d’eux sera élevé comme une fille, tournera mal. »(4-Le Figaro) Il s’ensuit des descriptifs sur l’histoire de la famille Reimer et de l’histoire de leur fils David, transformé en fille et renommé Brenda par Money. Bref, un doublé de la clinique trans et intersexe « s’attaquant à la nature ». Voici ce qu’il en est lorsque, fort d’un contexte ignorant le Bien et les évidences, un médecin plus soucieux de la cohérence de sa théorie que de la vie d’autrui, conduit en débordements techniques et théoriques. Money, un Mengele ignoré ? Or ce descriptif et les analyses qui ont suivies émanent des études de genre constituant leur ligne rouge et leur éthique et non l’inverse. Judith Butler, après d’autres, analyse le drame de John-Joan (double prénom donné par Money) dans Défaire le genre(5). Les « anti-gender » valident toujours la clinique intersexe à la manière dont le Vaitacan parvient à inclure, tel l’Iran de Khomeiny, la clinique trans tant que celle-ci se restreint à quelques individus, que son programme renaturalise le corps et son identité. Les militances trans et intersexe n’ont pas été en reste dans cette analyse puisque toutes y ont vu un franchissement d’une ligne rouge en analysant le contexte et les raisons sociohistoriques qui l’ont permise. Comment Money a-t-il pu faire ce qu’il a fait et mentir effrontément à tant de gens ? Pourquoi les parents ont-ils permis une telle chose ? Money bousculait la thèse naturaliste d’un coup de bistouri que n’ont jamais validé les militants informés. Une pure intox donc mais une intox socialement programmée. Les militants du mouvement intersexe de l’OII (6) nous ont appris que non seulement, cela était possible dans le contexte des années soixante aux USA mais que des médecins continuaient toujours de traiter et d’opérer des enfants au motif d’une physiologie sexuelle non conforme aux canons des schémas mâle et femelle ; par ailleurs, continuaient d’affirmer que ces enfants ne pourraient se développer et accéder à une identité sexuelle stable, homme ou femme. Typiquement, le contenu théorique de Money. Au nom de la théorie de l’identité sexuelle, des praticiens convainquent, comme l’avait fait Money, les parents pour qu’ils acceptent ces transformations. De leur côté, les militants trans soulignent la virulence de thèses psychopathologistes pour faire croire à une maladie mentale, d’ailleurs inscrite depuis 1980 et s’auto-performant dans le bocal du DSM et la CIM(7). À l’origine de ces deux militances luttant pour rétablir une vérité historique autant qu’une vérité de leurs vécus, une même théorie : l’identité naturelle que renverse l’identité pansexuelle inventée par Freud. Il aura fallu un sicèle oour effacer l’une par l’autre et faire en sorte qu’elles deviennent synonymes. Dans cette fronde, l’existence des intersexué.es et trans est toujours aussi silencieuse quand elle n’est pas instrumentalisée et bafouée une fois de plus. Ainsi des slogans et fantasmes prétendant dénoncer (entre autres) l’apprentissage de la masturbation dans les écoles, la « banalisation de la transsexualité » et la « propagande homosexuelle » comme autant de « tentative d’intrusion dans l’intimité et la conscience de si jeunes enfants » (8-7 sur7). Plus c’est gros, plus cela passerait dans un contexte de peurs, réelles comme fantasmées, sur le passé du monde et le futur au monde ? Cette même banalisation transsexuelle est dans quasiment tous les ouvrages sur la transidentité et C. Chiland, psychiatre autoproclamée experte en transsexualisme, ira jusqu’à parler de « propagande nazi » à propos des militants trans (9 – L’Information psychiatrique). Remarquons ici « l’intimité et la conscience des enfants » et rappelons l’article de Beatriz Preciado sur ces enfants que l’on ne veut pas voir (10), réfutant cette intimité et conscience que l’on brandit ici. Ici, la vision d’une éducation selon un genre unique calé sur le « sexe de naissance » est nette, rappelant que les enfants « ne sont pas des meubles » mais biffant le naturalisme dans la théorie d’une « coïncidence sexe-genre », opposé au «choix du sexe » des transsexuels ou de l’orientation homosexuelle. Une théorie qui fait la part belle aux « déterminismes naturels, sociaux et anthropologiques » contre l’autonomie sociopolitique des identités de genre. Déterminismes qui sont rappelés à Vincent Peillon par les militants de la « Manif pour tous » et en appelant à une réponse pédagogique en cinq points (11 -Le Monde) qui fera long feu puisqu’il déclare que « l’on ne peut nier la différence physiologique » (12-Rue89). Un propos auquel Valls répond (Le supplément, 07.02.2014) : « L’école n’enseigne pas la théorie du genre. Tous les parents savent qu’il s’agit de manipulation. ». Poursuivant, il affirme que le « révisionnisme n’est pas une opinion mais un délit », que les décisions politiques constituent les bonnes réponses, soulignant l’orgie de la fronde avec F. Benghoul manipulé par un Soral. Mais pourquoi donc laisser faire cette fronde qu’il dit minuscule, revenir sur la GPA-PMA, biffer la loi sur le genre telle que l’a mise en place l’Argentine et le Chili et donner l’impression d’une reculade permanente sans politique(s) ?

La démocratie de droit et le syndrome du monstre fou

Sur le fond, l’essentiel réside en deux points : revenir sur la séparation des pouvoirs séparant la Nation laïque de l’Eglise et les nationalismes culturels tout en poursuivant la logique ultralibéraliste, permettre aux uns une existence viable sous la forme de la «famille traditionnelle » et aux autres une vie discriminée de parias. Aussi, la fronde contre une « théorie » assimilée à une « propagande » nécessite-t-elle des « résistants » se justifiant à l’aune du Vatican mais également à des thèses naturalistes, racistes et homophobes où l’avenir des enfants se règle à l’aune de visions eschatologiques. Il s’ensuit logiquement dans l’affrontement l’étai de l’égalité, jamais atteinte et qui a constitué, depuis le XIXe siècle, aux attendus du féminisme sur les liens entre rôles sociaux et rôles dans la procréation mais aussi, accès aux métiers et au pantalon, analyse C. Bart(13). L’égalité revendiquée par un féminisme en lutte, supposant de revenir sur les dominations d’un sexe sur l’autre, est toujours actuelle face à l’Espagne qui veut revenir sur les acquis des femmes au droit à l’avortement (2014). Le tournant récent de la « familiphobie » (14- 7 sur 7) s’inscrivant parfaitement dans le cadre d’une contre-lutte revendiquant des droits et accès distincts, thématique sous-jacente expérimentée lors du mariage pour tous et transposé en politique Droite/Gauche, le propos se concentre autour des discussions sur l’accès aux technologies de procréation médicalement assistée (PMA et la gestation pour autrui (GPA), bénéfice naturel des hétérosexuels et bénéfice indu aux homosexuels, qui permettraient selon leurs slogans un accès aux couples homosexuels et institutionnaliseraient de fait des familles homoparentales, leur ouvrant ainsi un accès à l’enseignement dans les écoles. Le propos se concentre sur un nouveau précipité chimique qu’est cette liaison problématique entre les questions de genre faisant surgir les inégalités et asymétries, outre les grands principes, dans les moindres gestes anodins de la quotidienneté, les pratiques médicales concernant la génération et l’homosexualité, toujours mise en avant et invisibilisant la population trans et intersectée : ce pourquoi Money en docteur Frankeinstein est porté en monstre fou. Aussi, le sigle LGBT est-il d’abord un front politique d’un réexamen de société non repliable sur les individus gays et lesbiennes (les bi, trans et intersexes sont encore absents ici). Nombre de LGBTI, cette fois en tant qu’individus, ne revendiquent nullement des droits mais à une indifférence face à la discrimination d’ensemble qui pourtant les affectent, et ne demandent la réforme structurelle tel que le féminisme le formule depuis le XIXe, mais une intégration anonyme. Aussi, le terme de « théorie » est-il polysémique et très problématique quand il n’est pas une escroquerie pure et simple, attisant peurs et manipulations d’ombres. Qui lutte, qui écrit, pour quelle vision de la vie et quelle conception sociopolitique de société ? On comprend le besoin de se centrer sur deux noms en particulier mais leurs apports respectifs, non comparables, ne traitent pas du tout des mêmes objets. Le propos de Butler est très large, tient à la vision et conception politique et philosophique de société, tandis que Money se centrait essentiellement sur sa théorie éducationnelle du genre, distincte sur le fond d’un autre théoricien, absent des articles pour le moment, Robert Stoller qui, lui, se penchait sur les enfants trans et va contribuer avec Harry Benjamin à la clinique trans.

Or cette même virulence est extrêmement vivace dans les efforts des tenants dénonçant une « théorie du genre » qui viendrait s’opposer aux « sciences biologiques » après les sciences humaines et sociales, prises à témoin dans leur rôle historique des humanités qu’elles auraient trahies. Or les sciences biologiques, croisées à l’anthropologie notamment, en viennent-elles aussi à invalider un lien mécanique entre sexe et genre, et a fortiori entre individu et société en réinterrogeant les modalités pratiques concernant la différentiation entre genre, par exemple avec l’autonomie économique, l’alimentation (15 – Touraille), le sport (16 – Bohuon),  les jeux et jouets(17- Zegaï) et la langage lui-même (18- Slate). A l’horizon, le statut du corps confronté aux techniques qui en accélère la dissociation sexe et genre et donc l’interrogation dans son lien au « genre »  entendu dans son sens d’identité de genre  (femme, homme, androgyne, intergenre…) et non plus de « rôles sociaux de genre ». Comment suis-je un homme, une femme, quel rapport avec la féminité, la masculinité ? Aussi, cette fronde doit à la fois lutter contre les ajouts dans les manuels SVT et ABCD, d’éventuels programmes développant une vision réflexive de l’égalité dès l’enfance et inévitablement sur les préjugés, haines et violences adultes, les réformes dans la loi s’agissant du mariage, de la médecine et plus largement de la modernité confrontée à la tradition, toutes deux proposant une vision du monde et une conception de société. Cette constestation théorie vs théorie, traditonnalisme vs modernisme, s’inscrit sur le fond parfaitement avec une modernité de rationalités limitées, rompant avec la double vision surplombante d’une Raison aux côtés d’une Nature. Aussi, se retourne-t-on volontiers vers des horizons religieux de valeurs transcrits en politique opposant une doite contre la Gauche quand il s’agit essentiellement de manipulation « d’anti-systèmes » (A. Soral et F. Benghoul) pour un théâtre d’ombres contre le gouvernement d’une gauche centriste pratiquant une politique de droite. Cette fronde parmi d’autres, pourrait alors se comprendre non comme la manifestation d’un malaise de civilisation, que le moment d’une transition de société où les uns profitent pour régler, fort d’une vision tératologique et discriminante, le devenir du monde par le devenir des enfants dans son cadre, l’école.

Maud-Yeuse Thomas

Notes

[1] Voir notre dossier, janvier 2014, URL : http://www.observatoire-des-transidentites.com/article-transidentite-et-scolarite-2-122332172.html.

[2] http://www.islamisme.fr/le-snuipp-veut-laver-le-cerveau-de-nos-gamins-sur-la-theorie-du-genre-et-la-robe-a-papa/

[3] Sylvie Ayral, La fabrique des garçons, Ed. PUF, 2011.

[4] Le Figaro fr., Publié le 31/01/2014, URL : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/01/31/01016-20140131ARTFIG00151-theorie-du-genre-comment-la-premiere-experimentation-a-mal-tourne.php

[5] Judith Butler, Défaire le genre, Traduit de l’anglais par Maxime Cervulle, Editions Amsterdam, Paris , 2012.

[6] Site de l’Organisation Internationale des Intersexes – Francophonie, URL : http://oiifrancophonie.org.

[7] Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l’association américaine de psychiatrie (APA). Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, publiée par l’ Organisation mondiale de la santé (OMS).

[8] « Non, les enfants  n’apprendront pas à se masturber à l’école », 31.01.2014, http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1783962/2014/01/30/Non-les-enfants-n-apprendront-pas-a-se-masturber-a-l-ecole.dhtml

[9] Colette Chiland, In, L’Information psychiatrique, pp.259-260, Vol 87, N°4, avril 2011

[10] Beatriz Preciado, Qui défend l’enfant queer ? », Libération, 14.02.2013, http://www.liberation.fr/societe/2013/01/14/qui-defend-l-enfant-queer_873947

[11] Le Monde, 28.01. 2014, http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/01/28/cinq-intox-sur-la-theorie-du-genre_4355738_823448.html.

[12] Rue89, « Les mots démons. « *Théorie » du genre : de quelle théorie oarle-t-on, bon dieu ? », Pascal Riché, 30.01.2014, http://blogs.rue89.nouvelobs.com/les-mots-demons/2014/01/30/theorie-du-genre-de-quel-theorie-parle-t-bon-dieu-232237

[13] Christine Bart, Une histoire politique du pantalon, Seuil, 2010.

[14] « Manif pour tous » à Paris contre un gouvernement familiphobe », Rédcuation de la revue, 02.02.2014, 7 sur 7, URL :http://www.7sur7.be/7s7/fr/1523/Famille/article/detail/1785887/2014/02/02/Manif-pour-tous-a-Paris-contre-un-gouvernement-familiphobe.dhtml

[15] Priscille Touraille, Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force sélective de l’évolution biologique, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2008.

[16] Anaïs Bohuon, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, Paris, éditions ixe, 2012

[17] Entretien avec Mona Zegaï, « Genre et joeuts : l’avis d’une sociologue », 19.09.2013, URL : http://www.madmoizelle.com/genre-jouets-sociologue-200758.

[18] « Hen : le nouveau prénom neutre qui fait  polémique en Sude », 27.05.2012, http://www.slate.fr/story/56183/hen-pronom-neutre-genre-suede

Corps trans, corps queer

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CORPS TRANS / CORPS QUEER
Cahiers de la transidentité : volume 3

L’Observatoire Des Transidentités (O.D.T.) est une interface de visibilité des questions trans, militante comme universitaire. Pour cette troisième édition, l’O.D.T. interroge la production et les figures queer dans les arts musicaux, littéraires, cinématographiques et plastiques. En posant son regard au-delà des frontières géographiques et genrées, cette somme d’articles tend à démontrer qu’il existe, dans la culture, des supports à l’élaboration d’une politique inclusive et non discriminante à l’égard de la diversité de genre.
Ce livre a été dirigé par Maud Yeuse Thomas, Karine Espineira et Arnaud Alessandrin, animateurs de l’Observatoire Des Transidentités (http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/)
Avec les contributions de : Rachele Borghi, Roa’a Gharaibeh, Jean-Marie Grégoire, Andréa Hynynen, les King’s Queer, Naiel, Lazlo Pearlman, Abdallah Taïa, Jean Zaganiaris et Pierre Zoberman.

 

 

 

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SOMMAIRE

INTRODUCTION
« Trans et queer : je t’aime… moi non plus »
(Maud-Yeuse Thomas, Karine Espineira, Arnaud Alessandrin)

CORPS TRANS / CORPS QUEER
– « Dr Jekyll et Ms Hyde »
(Jean-Marie Grégoire)

– « Petit à petit, changer les choses autour de soi… sans oublier le lubrifiant »
Entretien des King’s Queer (ODT)
– « Lazlo Pearlman mon ami », Entretien de Lazlo Pearlman
(Rachele Borghi et Glenn Le Gal)

– « Ecrire c’est tout mélanger, se mélanger », Entretien d’Abdallah Taïa
(Jean Zaganiaris)

– « Dame Nature, entends-tu les voix de tous les ratés de ta production ? »
Entretien de Naïel (ODT)

QUEERING ISLAM
– « Queeriser le corps des féministes arabes »
(Roa’a Gharabeih)

– « Sexualités et gouvernabilité des corps au Maroc »
(Jean Zaganiaris)

PASSAGES
– « Le roman policier et les trans : une comparaison de Mygale
par Thierry Jonquet et Transfixions par Brigitte Aubert » (Andréa Hynynen)

CONCLUSION
– « La possibilité d’une fluidité » Entretien de Pierre Zoberman
(ODT)

Hit & Miss, chronique sociale de notre monde

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Hit & Miss

Chronique sur une mini série pas tout à fait comme les autres

 Cette chronique co-écrite avec Karine Espineira – qui est aussi publiée sur son blog– est notre réponse  à une sollicitation de Christophe Léger, membre actif de SOS Homophobie. Cette précision est aussi l’occasion pour nous d’un signe amical et chaleureux aux membres de cette association venu.es à notre rencontre à Marseille et Strasbourg (clins d’oeil amicaux à Delphine, Romain, Stéphane et Alain entre autres) et avec lesquels nous avons pu nous engager dans des actions communes sur les questions de genre. Les intersectionnalités s’inscrivent bien dans cette convergence des luttes pour l’égalité des droits bien au-delà des questions d’orientation ou d’identité. Cette égalité se joue aussi sur la scène de la culture commune.  

Approche compréhensive vs approche dénonciatrice

La série britannique Hit & Miss créée par Paul Abbott et diffusée du 22 mai 2012 au 26 juin 2012 sur la chaîne Sky Atlantic arrive sur Canal Plus. L’occasion nous est donnée de revenir sur les premiers débats, pour certains très enflammés. Deux approches sont possibles pour aborder le sujet, la première serait « dénonciatrice », la seconde « compréhensive ».

Dénoncer certes, mais quoi ? Que la caméra montre très montre rapidement, sans détour et sans ambiguïté un corps non opéré au sens de « transsexualisée », une femme avec un pénis, une femme « non finie » ou un corps trans ? Parmi les points qui ont alimenté la discussion[1] celui du statut de cette trans non op’ qui n’est rien de moins qu’une tueuse à gage. On pourrait aussi revenir sur l’explication, qui tient le plus souvent lieu de définition donnée par Mia (interprétée par Chloë Sevigny) pour dire à la fratrie dont elle doit prendre la charge, ce qu’est une « transsexuelle » : une femme coincée dans un corps d’homme. Pour répondre à la première question, il nous faudrait dénoncer le voyeurisme, le spectaculaire, la réduction et la caricature. Ce serait oublier le cadre d’énonciation et de production, ce qui nous mènerait vite dans l’impasse.

Hit & Miss est un produit culturel avec sa grammaire propre, dans un temps donné et une société donnée. Le produit culturel est aussi un bien de consommation inscrit dans une logique économique. Hit & Miss n’a pas été conçu au seul usage des LGBT et a fortiori des T. Contextualiser la série c’est reconnaître sa nature de bien de consommation culturel et d’usage social, comme appréhender l’appareil culturel et l’industrie culturelle dans lesquels ce bien est produit. On voit bien que l’on n’est pas forcément dans une discussion éclairée entre militant-e-s, initié-e-s et non intié-e-s, badauds extasiés ou horrifiés ou spectateurs raisonnés ou apaisés.

Plus prometteuse sera l’approche « compréhensive » en exigeant de nous la prise en compte des contextes d’énonciation et de production, de proposer des ouvertures et non des fermetures du sujet.

Reprenons nos trois points principaux et l’on voit voir qu’ils doivent être articulés de concert et non isolés les uns des autres. Dans ce qui est une production britannique empreinte de la critique sociale de Ken Loach auquel on pense indubitablement, Hit & Miss raconte l’histoire d’une trans prénommée Mia, pré op’ qui se destine à l’opération de conversion sexuée. Pour atteindre cet objectif, elle est tueuse à gage et n’élude pas le pourquoi de cette activité dont la figure emblématique Hitman[2] semble parfois inspirer la figure froide et assurée de Mia sous sa capuche. L’image devait-elle nous épargner la vue d’un pénis sur une femme ? Au non de quoi ? Inversement, la caméra devait-elle insister plus sur cet aspect qui est une clé parmi d’autres de la personnalité complexe de Mia ? Et comment ? Le fait même d’en parler nous inscrit-il dans un buzz donnant publicité à ce produit culturel ? Ou bien sommes-nous en train de relativiser afin de ne pas éluder ce qu’est un corps trans en transition ou voulu ainsi, bien que l’on sache ce que souhaite l’héroïne ? Les questions concernent aussi les personnes trans. La marque de l’infamie d’un corps « non fini » a prit aussi forme sous la figure de la She-male[3], figure exotique de la pornographie destinée aux seuls translovers a-t-on longtemps pensé. Ainsi les trans se défendent souvent dans les médias de l’assimilation à la prostitution ou au cabaret, peut-être faut-il désormais ajouter également la pornographie à travers l’idée de ce corps dénudé « non fini ». On devine les effets de discriminations et de stigmatisations en interne, dans les subcultures trans, contre lesquels il faut bien entendu se mobiliser aussi. Une trans ne vaut pas plus ou moins qu’une autre pour le résumé sans équivoque. Plutôt que de se sentir scandalisé par ce pénis – qui décidément prend beaucoup de place dans la moindre analyse – ne faudrait-il pas saluer cette rupture du non-dit et du non-montré ? Voici ce que peut être un corps trans « en construction » ou un corps trans vécu de façon épanouissante à ce stade. Le badaud sait. Le badaud a vu. Circulez il n’y  a plus à rien à voir pour aujourd’hui.

Second point, Mia tue des gens. C’est sa profession et on en connaît la motivation. Peut être aurait-on pu souhaiter qu’elle soit serveuse, prostituée, manutentionnaire ou femme de ménage et surtout qu’elle en bave plus ? Aurait-elle pu être cadre ou PDG et avoir une destinée à la pretty woman ? Ce n’est pas tout à fait l’univers de la critique sociale qui sert de cadre solide à cette histoire, on en conviendra. Faire une tueuse comme pour faire oublier qu’on tue des trans partout dans le monde à chaque minute ? L’argument se défend mais il n’est pas suffisant. Observons Mia quand elle devient « tueuse à gages » ou ne devrait-on se risquer à dire « tueur à gage » en l’absence d’une expression agenrée ? Le vêtement qui en fait une ombre, l’agilité sans genre d’un chat, une froideur qui n’a pas de genre. Il s’agit d’un projet, tuer des gens pour se payer une opération et devenir une vraie femme complète et accomplie si l’on prend comme règle étalon la représentation hégémonique (« l’institué transsexe »[4]). Apparaît alors la trame de l’ordre symbolique en œuvre via une série de meurtres réels dans le récit de la série mais assassinats symboliques dans l’analyse. Donner des gages à la normalité pour se faire accepter dans le monde des humains passe donc par cette série de meurtre dont le premier consiste à s’éliminer soi-même pour devenir ce que l’on croit que le société veut que l’on soit. L’histoire de Mia, ne serait-elle pas le récit symbolique de cette émancipation sans dévoiler la trame de la série en proposant cette question ?

Troisième point. L’expression d’une âme de femme enfermée dans un corps d’homme ou Anima muliebris in corpore virili inclusa imprègne la formule souvent entendue dans les témoignages médiatiques et autobiographiques de transidentités : une femme née dans un corps d’homme. Pierre-Henri Castel a donné cette lecture : « il faut bien lire « enfermée » (inclusa) et non pas « née », comme on cite parfois à tort »[5]. Traduction défectueuse ? Après tout, « enfermée » signifie « prisonnière », postule donc un état de l’âme (essentialisme), mais « née » aussi (naturalisme). Dans les deux cas, la constante est bel et bien l’âme, invariable, la variable étant déléguée au physique, au corps, à la biologie. Si l’uranien[6] était susceptible de décriminaliser l’homosexualité en la naturalisant, l’anima muliebris in corpore virili inclusa a la même fonction décriminalisante dans les témoignages des transsexuels du XXème siècle. Avec Éric Fassin, rappelons encore que cette « âme de femme dans un corps d’homme » renvoie à l’ensemble de ce qu’on appelait des « psychopathologies sexuelles », qui troublent à la fois l’ordre des sexes et des sexualités[7]. Nous verrons ce que la version propose comme traduction. Les fansubtitles[8] ont proposés « coincée ». Bloqué est-ce être enfermé ou prisonnier ? Mia va-t-elle s’émanciper, s’affranchir, se libérer ou se conformer ?

L’approche compréhensive est plus difficile à mener car plus questionnante. Il nous faut mobiliser non seulement des savoirs mais les concilier avec des approches émotionnelles, subjectivités avouées et reconnues autant que les désubjectivisations. C’est aussi s’engager dans des voies où il n’y a aucune honte à se prendre soi-même en défaut.

Chronique filmique, chronique sociale

Une nuit, un tueur, un meurtre sur commande. Scène d’un policier ou univers froid d’un film sur gangsters. Hit & Miss n’est rien de tout cela mais son contrepied absolu. Lorsque l’on nous montre ce tueur se remaquillant les lèvres, l’on est tenté de revoir la scène précédente, comme si le fait qu’il s’agisse d’une femme devait en changer le sens, immédiat comme profond. Mia est ce tueur et surtout, écho d’un esprit des temps, Mia est transsexuelle, ce qui ajoute en soi une difficulté supplémentaire et un nouveau sens, celui finalement classique : mais oui, elle a un passé d’homme, une vie d’homme ! Dès la deuxième scène, on l’a voit nue au rentré de sa douche. Impossible de ne pas voir son pénis, cet ultime marque de corps chromosomiquement mâle. La suite de ce premier épisode pose intégralement le déroulé de la saison. Elle apprend que son ex-compagne va mourir d’un cancer et qu’elle a un fils de onze ans. Lorsqu’elle arrive, elle est déjà morte et se retrouve non pas face à ce fils mais à quatre enfants et adolescents dans une ferme isolée dans la campagne. Entre délicatesse et brutalité, le personnage évolue, se laisse apprivoiser autant qu’elle tente d’apprivoiser cette famille recomposée improbable, délaissant sa vie de sportive froide et isolée. L’épisode nous propose rien de moins que d’examiner à la lumière d’une fiction toutes les recompositions postmodernes. Doute sur l’identité de genre opposé à une identité sexuée qu’une tradition impose, rôle des « sexes », en-dedans et en-dehors de la ville et campagne, conflit intergénérationnel… Plus une : notre subjectivité. Comment savons-nous qui sommes-nous ? Le thème de la transidentité tient là manifestement son rôle pour souligner celui de la subjectivité, du combat pour le remporter ou de l’échec s’abimant.

La sortie de cette série a été diversement appréciée par le monde trans, militant ou non. Grotesque farce pour les uns, fine recomposition d’une modernité paradoxale tiraillée entre libéralisme destructeur et traditions grinçantes mais toujours porteuses de valeurs. En tête des critiques, le rôle de tueur, rapproché de la critique filmique où le méchant est toujours ce minoritaire d’une époque qu’il s’agissait de pourfendre (typiquement, l’odieux assassin du Silence des agneaux rapporté à une « pathologie transsexuelle »). Le problème avec cette critique est qu’il est aussi l’assassiné (Brandon Teena dans Boy dont cry de Kimberley Pierce) ou encore l’immense cohorte des errants dans un monde qui ne finit pas de les produire (Bernadette dans Priscilla, folle du désert de Stephen Elliot, Dil dans Cring game de Neil Jordan). Reste l’insistance question de la vacance individuelle dans un monde préformé par une conception naturaliste ou essentialiste. Paradoxalement, entre tradition et libéraliste, mû par le même patriarcat industriel, c’est ce dernier qui répond le mieux à l’exigence d’une subjectivité s’incarnant dans un corps.

Si l’individualisme de masse nous ramène toujours à un comportement normatif et passif de consommateur ridiculisant le citoyen, l’individualisme solitaire de Mia renvoie face à face l’en-dedans et l’en-dehors du monde normé où les hommes sont des mâles masculins et les femmes des femelles féminines. Elle n’est pas simplement cet « homme devenant une femme » ou un « gay » (allusion non dissimulée au transvestite, cette ancêtre culturelle de la transsexuelle des années 1920) mais cette solitaire mordante, froide dans son métier, décisive dans ses conflits (la scène finale de l’épisode 1 où elle boxe le propriétaire de la maison), animale dans son rapport à la spatialité et ses relations.

Dans son article, Pierre Langlais (Télérama, 16-22.02.2013) propose une lecture par le biais d’une critique sociale en citant Paul Abbott, le créateur de la série : notre société « ne laisserait pas de place aux identités indéfinies ». Mais à lire les commentaires de l’actrice et ses peurs de faire peur (aux spectateurs, à la pudibonderie, de faire scandale), le doute n’est plus permis. Il y a bel et bien un espace dont les limitations sont données par la structure même de notre croyance en une identité essentialisée, fondatrice de la condition humaine et de la structure pyramidale de notre société. Rien de moins, rien de plus. Le seul espace restant étant donc celui de ce passage symbolique à hauteur de cette définition surplombante : vous êtes ce que votre sexe fait de vous. La pudeur et peur féminines étant non cette contrainte de norme fabriquant cet éternel féminin mais la conséquence biosociologique d’un XX. Aussi, le souhait d’un espace permis aux dites identités indéfinies se solde-t-il par une contrainte à la normation symbolique ou une installation à demeure dans les interstices ou à la marge. Espace que les individus dits indéfinis intègreraient inconsciemment ou stratégiquement de manière plus marquée que les dits normaux. En d’autres mots, le désir d’une conversion sexuée ne serait autre que cette contrainte à la normation sociopolitique, faute d’autre socialisation. On comprend dans ce cas qu’à y échapper pour retrouver un espace d’existence viable revient à s’écarter d’un monde géopolitisé par la norme binaire et recréer un autre monde (cette ferme isolée ?) au risque d’un nouveau confinement et la certitude que le centre n’en sera jamais affecté.

Maud-Yeuse Thomas & Karine Espineira


[1] Lire notamment l’article « Laurence Anyways » : le cinéma caricature-t-il les trans ? », Anaïs Bordages, Rue89, 23 juillet 2012. [En ligne] : http://www.rue89.com/rue89-culture/2012/07/23/laurence-anyways-le-cinema-rend-il-justice-aux-transexuelles-234018.

[2] Personnage du jeu vidéo créé par IO Interactive, qui a aussi donné lieu à une adaptation cinématographique en 2007 par le réalisateur Xavier Gens.

[3] Le terme a aussi désigné aussi les travailleuses du sexe trans. Au XIXe siècle, l’expression désignait une « femme en colère », « une femme énervée », « une femme de caractère », comme si une femme qui savait se faire respecter ne pouvait être qu’un « peu homme ».

[4] L’une des notions élaborée au fil de mes recherches en thèse de doctorat et soutenue récemment.

[5] La métamorphose impensable : essai sur le transsexualisme et l’identité personnelle, Gallimard, 2003, p. 413.

[6] Karl Heinrich Ulrichs dans ses cinq volumes d’essais, Forschungen über das Rätsel der mannmännlichen Liebe (Recherches sur l’énigme de l’amour entre hommes), publiés en 1864 et 1865 sous le pseudonyme de Numa Numantius.

[7] Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », Cahiers de L’homme, Éditions de l’EHESS, Vol. 3, n° 4, 2008, n° 375-392, p. 375.

[8] Sous-titres réalisé par des fans.

La déprogrammation transsexuelle

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Défini indépendamment de l’homosexualité, à partir des années 60, le « transsexualisme » a fini aussi par se définir en dehors de la sexualité et finalement de la société. Mais ce « hors-sexe » qui est aussi un hors-social, dans lequel la psychiatrie a voulu délimiter le transsexualisme, est sans cesse mis à mal. Glissant de la pathologie à l’expérience de vie et l’affirmation de soi, les transidentités réinvestissent, en plus de leurs corps, leurs sexualités. Au travers d’associations (OUTrans) ou de militants (P. Califia), une existence et des sexualités décrites comme souffrantes deviennent alors un corps de plaisir et une existence incarnée.
La suite sur Ganymède

Sur “Diagnosing Difference”

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 En ligne, mars 2011 : http://www.revue-ganymede.fr/transidentites-2/, Par Karine Espineira, Maud Yeuse Thomas, Alessandrin Arnaud
Le documentaire « Diagnosing difference », base d’une analyse de la question de diversité que recouvre les transidentités, du problème du diagnostic, et des réalités sociétales et individuelles qui en découlent.
La suite sur GanyMède

Pour un cadre générique du transsexualisme

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Résumé et contexte. La psychiatrisation du transsexualisme a permis sa prise en charge (en 1979 en France), liant un changement irréversible de sexe (compris comme catégorie sociopolitique) au sexe (compris comme étant l’organe sexuel) et engageant un changement définitif de genre. La clinique trans suit là la clinique intersexe où l’individu voit son corps modifié afin de permettre un alignement (ou réalignement) sexe-genre. Non sans réexamen et interrogations venues des terrains.

A la suite d’une annonce d’une réécriture des attendus du transsexualisme dans le DSM, la CIM (Classement des Maladies Mentales – OMS) co-organise une rencontre. Elle s’est déroulée à la Sorbonne (Paris) en décembre 2010. Comment dépsychiatriser sans démédicaliser et provoquer un déremboursement lors des prises en charge institutionnelles ? Comemnt justifier une telle psychiatrisation ? Quel rapport avec la psychiatrie ?

Publié in L’Information psychiatrique, Vol.87, n°4, avril 2011

La transparentalité aujourd’hui

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Isabelle et Nadine ont fondé une famille et sont parents. L’une d’elle a effectué une transition pour devenir une femme. Celle qu’elle a toujours été. Comment gérer cette situation lorsque l’on est parent ? Comment les conjoint.es vivent-ils/elles cette transition ? Et les enfants ? Je voulais répondre par l’exemple, poser des questions et reposer le sujet des transidentités, revoir quelques tenaces préjugés sur ce sujet strictement emboité au prédicat psychiatrique du transsexualisme.

lien : http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-la-transparentalite-aujourd-hui-60882458.html

Du « trouble trans » dans l’Identité ?

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Le transsexualisme, objet-symptôme du trouble

À quel trouble on se réfère? Un type de trouble pour chaque identité? Tout trouble est-il négatif? Quelle (est la) société (qui) pose cette question et la radicalise en diagnostic? D’où cette curieuse idée que l’identité puisse être en quelque sorte atteinte de ou affectée de… Ainsi posé, est-ce l’identité elle-même qui pose problème, comment et pourquoi? Face au fait trans qui va évoluer en deux décennies du transsexualisme (au sens psychiatrique) aux transidentités, la réponse consiste précisément en une pathologisation. Comment repérer la fabrication de celle-ci?

http://masterintercultura.dissgea.unipd.it/trickster/doku.php?id=malessere_identita:thomas_transsexualisme (en ligne)